Vers l'art sacré abstrait
 


 

« Les murs que nous élevons sont sa passion »

À une époque, la nôtre, où l'on voit s'élever à nouveau des murs à nos frontières pour tenter d'endiguer les flux de migrants, où l'on observe des attitudes de fermeture et de repli dans nos sociétés, j'ai voulu par ce triptyque rappeler que les murs que nous élevons sont aussi Sa passion.

Ces murs qui ne sont rien d'autre que les actions, les pensées et les émotions qui tendent à diviser, à séparer plutôt qu'à rapprocher et à unir les êtres humains.

Le triptyque  qui se compose d'une icône et d'une enluminure de facture traditionnelle et d'une miniature d'inspiration contemporaine a été réalisé avec la technique ancienne à la détrempe, la dorure à la feuille et l'application de lavis successifs utilisant des pigments historiques.

L'icône  s'inspire d'une œuvre originale en forme de crucifix réalisé par un iconographe italien contemporain, Giancarlo Pellegrini. La partie centrale de la Croix s'inspire d'une oeuvre qui se trouve au monastère de Santa Maria della Vita a Sogliano tandis que les parties décoratives rappellent certains des motifs du Crucifix de Coppo de Marcovaldo dans le Dôme de Pistoia et de celui de Giunto Pisano au musée de la Porziuncola à Assise. Les deux personnages au pied de la croix proviennent de deux oeuvres italiennes exposées à la Galerie Nationale d'Art de Washington. Le soleil et la lune sont des éléments traditionnels que l'on retrouve généralement  dans les icônes anciennes  de la Crucifixion. Pour la figure du Christ,  qui est un “Christus triumfans”, aux yeux grand ouverts et au regard empreint de compassion, l'inspiration trouve son origine dans l'oeuvre de Berlinghiero Berlinghieri au musée San Marco de Pisa. La Croix est posée sur un fond bleu nuit parsemé d'étoiles, comme cela se voit souvent sur les icônes anciennes de la Crucifixion. J'ai choisi de ne pas tracer les extrémités aux bras horizontaux de la croix, les laissant ouverts à l'infini à l'image de l'Amour de Dieu qui ne connaît pas de limites.

La miniature de conception plus abstraite mais réalisée avec la technique traditionnelle de l'enluminure, représente une Croix qui renferme la mandorle qui, selon la tradition iconographique, entoure la figure du Christ en Gloire. Cette mandorle aux trois tonalités de bleu ( bleu de Prusse, indigo, azurite recouverts d'une série de lavis de lapis lazuli) est retenue prisonnière dans la Croix qui, elle-même, est cernée de murs qui symbolisent les obstacles dressés par les actions humaines au rayonnement de la Lumière. Au centre de la Croix, un cercle doré à la feuille symbolise la présence du Christ, autour duquel s'inscrivent les trois lettres grecques qui signifient “ Je suis Celui qui est”. Les flammes de l'Esprit , elles aussi dorées à la feuille, s'élancent des contours de la Croix mais leur ardeur est affaiblie par les murs qui représentent le refus de l'Autre. Les pierres aux différentes tonalités d'ocres et de terres de provenances diverses comme l'ocre de Castille, la terre d'Herculaneum, l'ocre rouge de Provence, la terre de Sienne et la terre d'ombre de Chypre, perdent de leur densité au fur et à mesure où le regard s'élève pour sembler flotter sur un ciel à peine suggéré, comme les attitudes de dureté et de rigidité tendent à s'évanouir quand l'âme s'élève vers le Divin. Le symbolisme associé à la diversité des terres et des ocres révèle cette vérité : si l'on fixe le regard sur les différences, il ne nous sera pas possible de saisir l'harmonie de l'ensemble  mais si, au contraire, on se concentre sur la terre, origine unique de toutes ces variétés liées aux conditions de lieu et de climat, il nous sera possible de ressentir une profonde harmonie. Il en va de même pour le genre humain avec ses variantes ethniques, culturelles et religieuses. Les chiffres romains inscrits sur les pierres renvoient aux quatorze stations du Chemin de Croix et à notre propre pèlerinage intérieur.

L'enluminure traditionnelle sur parchemin  s'inspire d'une fresque de l'église Santa Maria Antiqua construite au VI ème siècle sur les vestiges d'un ancien palais de l'époque de Domitien à l'intérieur du Forum romain. Récemment restaurée et réouverte au public cette année à l'occasion de  l'exposition « Tra Roma e Bisanzio », elle renferme des fresques qui remontent aux premiers siècles après sa construction et qui sont un témoignage précieux du Haut Moyen-Âge à Rome.

La fresque originale de la Crucifixion se trouve dans la chapelle de Théodote et date du VIII ème siècle. On y voit un Christ en croix, au regard doux et serein, les pieds écartés et vêtu du colobium, la tunique sans manches des premiers moines. Au pied de la croix se tiennent, sur fond de collines qui symbolisent Jérusalem et témoignent de l'origine orientale de l'oeuvre, Marie, Saint Jean et les deux soldats, l'un tendant l'éponge trempée dans le vinaigre et l'autre tenant sa lance. Pour respecter la différence d'échelle entre la fresque originale et mon enluminure, j'ai retiré les deux voleurs du tableau; pour respecter le style de l'époque, j'ai réalisé les deux montagnes avec la technique iconographique et pour garder une certaine continuité avec l'esprit de l'enluminure contemporaine, j'ai ajouté le motif du mur dans la partie inférieure de l'enluminure.

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